Action: animation autour des relations à l’adolescence “LOVE STORY”

Contributeur: AMO TCC Accueil

Présentation: deux types de discours sont omniprésents: d’un côté, nous avons des discours de prévention, souvent normatifs, d’un autre côté, nous avons d’autres discours qui se placent dans la consommation et l’hypersexualisation.
Comment le jeune peut-il intégrer efficacement des notions de prévention et les appliquer, si son environnement social ne le suit pas, et pire, le marginalise lui aussi? […]

Quelle action de prévention est concernée?

Sont concernées ici les politiques de prévention en matière d’EVRAS auprès des jeunes (plus particulièrement pendant et après l’adolescence). Les logiques qui sous-tendent la prévention, et celles qui parcourent nos sociétés, doivent être interrogées pour permettre de repenser plus efficacement certaines modalités dans nos actions.

Quelles sont les questions que cette expérience a fait surgir?

Notre participation à plusieurs animations de prévention EVRAS (en équipe ou en collaboration avec d’autres services), ainsi que les contacts réguliers avec les écoles nous ont fait prendre conscience des limites sur lesquelles venaient parfois buter des approches ‘classiques’, parce qu’elles ne répondaient pas en soi aux interrogations que les jeunes se posaient.

Dans nos société, deux types de discours sont en effet omniprésents: d’un côté, nous avons des discours de prévention, souvent normatifs. Ces discours posent des jugements sur des comportements à prescrire (comme le port du préservatif, l’acceptation de l’autre dans sa liberté et son orientation sexuelle) ou à proscrire (comme le harcèlement, l’intolérance à certaines formes de sexualité). Ces discours se sont renforcés avec les mouvements #metoo et balancetonporc.

D’un autre côté, nous avons d’autres discours qui se placent dans la consommation et l’hypersexualisation, qui traversent également nos sociétés. Que ce soit dans l’espace public via les publicités, les magasins, mais également à la télévision, sur les réseaux sociaux… la vision de la sexualité qui y est présentée tend à être plus décomplexée, banalisée, publicisée, commercialisée… et reproductible: beaucoup de jeunes reprennent les codes de sexualisation et les ‘rejouent’ en utilisant leurs smartphones (banalisation des comportements sexualisés sur les réseaux sociaux, envoi de sextos, etc.).

Ces deux types de discours (normatif et de consommation) semblent opposés. Or, ils sont la plupart du temps dans un véritable clivage l’un par rapport à l’autre, s’ignorant mutuellement, tant ils se placent sur des niveaux différents. Dans cette situation de clivage, le jeune est bien souvent perdu: il n’arrive pas à faire lien, à faire sens, entre ses interrogations et les discours qui y sont plaqués, mais qui n’y répondent jamais totalement (la pornographie a au moins cet avantage de présenter l’illusion d’une vision ‘pratique’ des choses, même si plusieurs jeunes s’en distancient et comprennent bien que la pornographie n’est pas la réalité en soi).

L’incompatibilité de ces deux discours rend très difficile la possibilité de poser un discours de prévention qui soit ‘opérationnalisable’, c’est-à-dire qui soit transposable dans la pratique quotidienne pour les jeunes visés: difficile pour un jeune d’appliquer les notions de tolérance, d’acceptation de l’autre dans son orientation sexuelle différente, si cette acceptation met à mal le jeune dans ses relations sociales à l’école. Comment dès lors peut-il intégrer efficacement des notions de prévention et les appliquer, si son environnement social ne le suit pas, et pire, le marginalise lui aussi?

Ainsi, s’il n’est pas expliqué, tempéré, et surtout, si le jeune ne voit pas comment appliquer la norme dans son quotidien, les discours comme ceux de #metoo passent totalement au dessus de la tête des jeunes. Ils n’arrivent pas à appréhender les enjeux, et du coup étrécissent le message à la pure interdiction: ‘il ne faut pas draguer une fille en rue’, ‘il ne faut pas harceler une personne qui porte une jupe’. Ces messages sont reçus, mais leur pertinence est nulle (ou du moins très limitée pour les jeunes).

De là, une série d’effets pervers peuvent être observés. La transgression sauvage (le ‘foutu pour foutu, autant y aller à fond’), le repli sur soi et l’individualisme (je m’habille comme je veux, si quelqu’un est choqué, c’est lui qui a un problème), l’angélisme déconnecté du réel (il suffit de tous se respecter, et plus personne n’aura de problème), etc.

Que faire face à ce constat? Sans pour autant faire un constat d’échec, il nous paraît utile, surtout dans des écoles secondaires où genres et cultures se mêlent (sans pour autant toujours se comprendre), de repenser une nouvelle approche de la prévention. Les questions d’EVRAS doivent être abordées de façon globale, c’est-à-dire comme un comportement positif, et non pas sous le prisme de ses comportements à risques (du moins, pas dans un premier temps). Il s’agit de partir des questionnements généraux (comment se mettre en relation) avant d’aller vers le particulier (comment comprendre une orientation particulière, un changement de genre, etc. Ces questions, totalement pertinentes, ne peuvent faire l’économie de la base plus générale sur laquelle elles se construisent).

Comment avez-vous essayé de les résoudre?

Nous avons décidé de délaisser dans un premier temps de réflexion les discours de prévention et de consommation, et de (re)partir des problématiques rencontrées par les jeunes.
En effet, la plupart du temps, les questions que les jeunes se posent à l’adolescence sont relativement simples, et pourraient être jugées comme naïves de l’extérieur, alors qu’elles correspondent à un réel malaise par lequel nous sommes tous et toutes passés: ‘comment faire pour qu’elle me remarque? pour lui dire qu’il me plaît? est-ce qu’on sera ensemble pour la vie? etc.’

Ces questions sont partagées par la plupart des être humains.
Or, les discours de prévention et de consommation sont bien souvent ‘plaqués’ sur ces questions pour les colmater, alors qu’ils n’y répondent jamais vraiment.

En effet, à la question ‘comment faire pour oser dire à cette personne qu’elle m’attire?’ un discours normatif (parmi d’autres) recommandera d’accepter cette personne dans ses choix et son orientation, et de respecter ses décisions; un discours de consommation (parmi d’autres) proposera diverses pratiques sexuelles. Tous ces discours ont prétention à résoudre ces questionnements …et il arrive que les jeunes y croient, ou y adhèrent, par défaut d’une réponse plus appropriée. Mais aucun de ces discours ne tient réellement, car aucune ‘recette universelle’ ne pourra répondre à l’intimité des questions individuelles.

En 2018, après un long processus de réflexion, de construction et de tests, nous avons créé un nouvel outil – Love Story – qui vise à penser la prévention non pas sur un plan normatif (‘il y a des bons comportements et des comportements à proscrire d’emblée’) ni technique (‘la question des IST et de leur transmission, les moyens de contraception, etc…’) mais qui aborde la plupart des thématiques EVRAS sous le prisme des relations sociales (l’entre-soi, les influences, les conceptions partagées, les pressions sociales et dans le couple, etc.).

L’idée originale de notre outil est de partir d’une relation qui se construit, peu à peu, pour ensuite affronter ses premières difficultés, et les dépasser… ou pas. Partir du général pour arriver au particulier, en somme. Chaque carte tirée en animation correspond à une piste audio qui aborde une problématique, en commençant par la questions des représentations. Les cartes suivantes permettent de questionner les techniques d’approche et de séduction, et d’arriver à la relation amoureuse en elle même, avec ses joies, ses difficultés et ses espoirs.

Autre idée qui a guidé la conception de l’outil: nous avons voulu dès le début aborder la relation amoureuse comme un comportement positif, et non pas comme une porte ouverte à diverses problématiques (comme la mise en garde contre les infections sexuellement transmissibles, le harcèlement sexuel en rue, la grossesse non désirée, etc.). Nous pensons que pour être bien reçue, une animation ne doit pas aborder une situation par ses risques, mais par ses aspects positifs. Les relations amoureuses sont à la base une question indéniablement positive, dont les risques multiples et les aspects plus ‘techniques’ de la prévention ne peuvent être abordés que dans un second temps, mais toujours intégrés au sein du fil de la relation (c’est-à-dire de l’histoire fictive qui se construit pendant la partie).

Quels enseignements en tirez-vous pour la mise en œuvre de la politique de prévention?

  1. Constats et enseignements


Cela fait maintenant plus de trois ans que nous animons régulièrement l’outil ‘Love Story’, et plusieurs constats sont intéressants à partager. Ils vont tous dans le sens d’une vulnérabilité des jeunes par rapport à la thématique des relations amoureuses. Souvent, cette vulnérabilité part d’une série d’idées préconçues (et parfois fausses, mais pas toujours) des adolescents concernant la sexualité. En soi, le fait d’avoir ces idées ne serait pas un problème si les jeunes avaient l’occasion d’entrer dans un conflit cognitif (‘je me rends compte que ce que je constate ne correspond pas à ce que j’ai appris’; ‘je me rends compte que plusieurs points de vue peuvent coexister’). Ainsi, l’assertion récurrente auprès de certains jeunes garçons ‘les filles sont toutes des p*tes’ n’est pas contredite. Non pas que personne ne leur dise le contraire, mais plutôt que ce contraire n’acquiert jamais de réelle validité à leurs yeux. De là, chaque ‘genre’, filles et garçons, se retranche dans ses représentations, ses stéréotypes.

Entre garçons et filles, ce sont ces dernières qui expriment le plus leur malaise: il est dur pour plusieurs d’entre elles de se faire respecter, écartelées qu’elles sont entre le stéréotype de la ‘p*te’ (qui a des relations sexuelles) et de la ‘bonne fille’ (qui soi-disant, n’en a pas). Tout entre-deux n’a alors pas lieu d’exister.

Les jeunes que nous rencontrons dans les écoles secondaires d’Anderlecht (de la 3ème à la 6ème année) sont très demandeurs d’espaces de discussion, d’échanges et de débat sur le thème de l’EVRAS. Ils n’identifient pas l’offre actuelle en matière de prévention comme pouvant créer ces espaces. La plupart du temps, ils n’ont pas non plus l’impression de pouvoir aborder ces sujets à l’école avec les équipes pédagogiques ni en famille. Dans certains milieu familiaux, tout ce qui touche à la sexualité est considéré comme tabou, et reste cantonné dans l’angle mort de la vie familiale. L’éducation par les pairs (les autres jeunes, bien souvent du même sexe et de la même tranche d’âge, ou légèrement plus âgés) est dès lors la norme.

Plusieurs problématiques de harcèlement (drague en rue, sexting, intimidations, pressions) s’apparentent à des tentatives de séduction ‘par défaut de mieux’. Pour beaucoup de jeunes, le manque de moyens socialement valides pour se mettre en relation avec l’autre les poussent soit à adopter une attitude passive (plus souvent constaté chez les filles) ou plus agressive (plus souvent constaté chez les garçons).

Pourtant, la banalisation de la relation amoureuse au niveau sexuel la rend facilement partageable au sein de l’entre-soi, et pour peu que l’adulte soit investi d’un minimum de confiance (ou parfois à l’inverse, par défiance envers l’adulte), il est alors très facile pour les jeunes de lui en parler. Il n’y a pas de gêne pour aborder le sujet… sur un niveau purement sexuel. Pourtant, il est beaucoup plus difficile pour les jeunes de parler ‘d’amour’ que de parler de ‘baise’. C’est que les sentiments sont perçus comme plus intimes, et donc plus vulnérables. Or, c’est bien d’espaces pour aborder ce sujet dont les jeunes manquent, et d’interlocuteurs valides (là encore, à leurs yeux). Sont naturellement invalidés tous ceux qui tiennent un discours différent, ou inapplicable (des adultes amenant une conception normative de la prévention; à nouveau, nous renvoyons au clivage sur le sujet, et à la difficulté de mettre en pratique des normes telles que ‘le respect de l’autre’ à travers des interventions externes). Les parents sont également difficilement envisageables en tant qu’interlocuteurs valides: les jeunes leur préféreront des familiers plus éloignés, et dans la plupart des cas, leurs pairs.

Si ‘parler sexe’ est courant dans l’entre-soi, pouvoir ‘parler amour’ est donc une demande tacite, que les jeunes n’osent formuler, mais auquel ils se prêtent volontiers lorsque les conditions de confiance sont remplies à leurs yeux.

Plusieurs acteurs de prévention nous ont également partagé qu’il devenait de plus en plus difficile d’aborder les questions liées à l’homosexualité avec certains jeunes qui tiennent des propos homophobes. A l’inverse, si des propos homophobes ont été tenus lors de nos animations (qui abordent régulièrement le sujet), nous sommes loin d’être aussi alarmistes: certes, plusieurs jeunes se réclament (parfois ouvertement) comme intolérants à l’homosexualité (principalement masculine), mais… ces discours sont rarement arrêtés: bien souvent, le(s) jeune(s) qui tiennent ces propos en début d’animation se rendent compte que la classe est globalement plus tolérante sur le sujet, et peu à peu… ils se décrispent et se montrent eux-mêmes plus ouverts. En effet, dans un premier temps, ces jeunes mettent une sorte de ‘masque social’ d’homophobie, une apparence d’intolérance qu’ils abandonnent lorsqu’ils se rendent compte que le groupe tolère des discours plus nuancés.

Nous nous rendons compte qu’il est très important de séparer la ‘gène’ (un sentiment qui est tout à fait légitime: beaucoup de comportements sexuels peuvent être gênants à imaginer) de l’‘intolérance’. Or, pour beaucoup de jeunes, les deux sont difficiles à articuler, et ils reprennent des discours intolérants… tout simplement parce qu’ils n’identifient pas d’autre moyen d’exprimer leur gène. Ainsi, nous remarquons que beaucoup de jeunes pensaient qu’il était attendu d’eux (par les professeurs, par les animateurs, par la société, …) qu’ils ne soient pas gênés par les comportements et préférences sexuelles des autres, ce qui est une totale méprise sur l’objet de la prévention. Séparer gène (qui concerne l’individu et ses préférences) d’intolérance (qui est un regard sur le monde dans lequel l’individu évolue) permet donc de lever bien des malentendus.

2. Recommandations en vue d’une politique de prévention

Nous évoluons constamment dans une société qui favorise les clivages dans les discours, comme nous l’avons vu. Or, c’est justement par la mise en place d’espaces de discussion qu’il devient possible de mettre les différents discours de jeunes en coprésence, et de permettre une conflictualisation (le jeune se rend compte que son point de vue n’est pas absolu, et qu’il lui faut tenir compte d’autre avis, d’autres points de vue). En conflictualisant, les jeunes confrontent eux- mêmes leurs discours et leurs représentations, et les points de vue extrêmes se tempèrent. Le rôle de l’animateur de prévention se cantonne alors à animer un débat (sans prendre de posture normative) ce qui lui permet de devenir pour les jeunes un adulte-ressource mobilisable. Cette position est encore trop rare chez les intervenant/dans les politiques de prévention et gagnerait à être plus répandue.

Nous pensons qu’il est important que davantage d’interventions de prévention pensent les questions d’EVRAS à l’adolescence de façon globale et en phase avec les enjeux, c’est-à-dire comme un comportement positif, et non pas sous le prisme de ses comportements à risques. Il est essentiel de partir de questions générales (‘comment savoir si je plais à l’autre?’ ‘que faire si cela n’est pas réciproque?’) avant d’aller vers le particulier (l’orientation sexuelle, la première fois, les IST). Si ce n’est pas le cas, il y a un plus fort risque que le message de prévention soit mal compris, génère des réactions négatives, ou soit totalement ignoré dans la pratique.

Cette dynamique implique que la prévention doive aussi être continuée sur le long terme par les écoles. Il faut donc inciter les écoles à inviter plusieurs acteurs qui peuvent intervenir sur un même thème (quitte à en aborder différentes facettes). La répétition de la prévention (et la variation des nuances) permettra alors aux jeunes de se construire un véritable horizon responsabilisant, chose qui est impossible à travers une animation seule. Certaines de ces animations de prévention peuvent bien sûr fournir du contenu technique et/ou normatif, mais il ne faut pas faire l’économie des espaces d’échange (comme ceux que nous parvenons à créer par le biais de nos animations), car ce sont ces espaces qui vont permettre aux jeunes de partager et d’intégrer ces contenus et normes au sein de leurs relations interpersonnelles.