Projet: “Quels sont les freins au droit à la santé mentale du jeune?”

Porteurs: AMO Service Droit des Jeunes Namur – Luxembourg

“C’est pas une histoire de fou… C’est une histoire qui peut tomber sur la tête de tout le monde”.

Ces dernières années, notre service se voit de manière croissante sollicité par des jeunes présentant des troubles de la santé mentale, en errance, qui ont rencontré par le passé nombre de services et d’intervenants vers lesquels ils ne souhaitent plus être orientés.

Nous sommes allés à la rencontre de 18 jeunes et de 13 professionnels afin de recueillir leur témoignage.

De plus, lors des entretiens, les jeunes nous ont verbalisé leur souhait de prendre une part active dans la création des outils de sensibilisation.

Quel est le fait social concerné?

La santé mentale contient une série très variée de dispositifs. La plupart de ces dispositifs ont une image négative auprès de ceux pour lesquels ils pourraient être utiles.

Quels sont les Groupes concernés?

  • Des (anciens) usagers de dispositifs en santé mentale (7 garçons et 11 filles, tous âgés de 16 à 20 ans, 11 sur la Province de Namur et 7 sur celle de Luxembourg. Certains d’entre eux sont encore accompagnés, d’autres plus ou plus par les mêmes services; quelques uns vont mieux, d’autres pas encore tout à fait…
    Des jeunes que nous accompagnons nouvellement ou depuis longtemps, des jeunes rencontrés dans le cadre d’activités collectives, des jeunes accompagnés par nos collègues de l’Aide à la jeunesse dans des services ouverts, dans des services mandatés, dans des IPPJ, des jeunes qui dans tous les cas et pourtant de manière tout à fait singulière, expriment non sans difficulté un passé et un présent emplis de violences et de souffrance).
  • Des professionnels participant aux dispositifs d’accompagnements (des thérapeutes, des assistants sociaux, des directions, des psychologues, des coordinateurs, des pédopsychiatres, des juges de la jeunesse, tous ont acceptés de nous livrer le pendant de leur cadre de travail, de leur fonction, de leurs réalités.
    Avec peu de retenues, ils ont eu le courage d’indiquer ce qui, de leur point de vue, peut freiner les collaborations, de souligner les avancées, les changements sociétaux de paradigme, d’y contrebalancer les réformes en ce qu’elles comportent parfois d’incompréhensible.
    Conscients de leur limite d’intervention et de la nécessité de constamment bricoler, parfois aussi démunis que nous, ils se sont montrés compréhensifs et conscient des forces et des faiblesses du système. Souvent, en fait, ils ont pu rejoindre et faire résonner les témoignages des jeunes).
  • Des jeunes en souffrance psychique mais aussi le “tout public” relayant des représentations négatives et/ou anticipées qui peuvent accentuer le mal-être des premiers voire freiner leurs recours aux dispositifs de santé mentale.

Quelle description de la problématique peut être faite?

“Je pensais pas que c’était aussi courant”; “Leurs excuses ‘j’ai plein de dossiers’, je suis un dossier aussi, je suis là aussi”; “Je pense que c’est compliqué quand on est jeune parce qu’on ne sait pas vraiment vers qui se tourner pour avoir un bon suivi et se sentir à l’écoute”; “j’aurais mieux aimé qu’il écoute au lieu d’écrire”; “la psychiatrie est là pour aider à aller mieux, comme on va chez le médecin, quand on est malade pour aller mieux”; “la santé mentale c’est une maladie sans être une maladie”; “si on va voir tel professionnel c’est parce qu’on a compris qu’il fallait aller voir les personnes pour discuter, on n’est pas un extraterrestre parce qu’on va là-bas, on va pas là-bas parce qu’on a envie de perdre une heure de cours!”; “il y a secret professionnel et quand on dit secret professionnel, ce qui est entre le psychologue et le jeune reste entre le psychologue et le jeune, mais pas la psychologue entre le jeune et les parents.” […] “Elle m’a trahi par rapport à ça et du coup ça n’a rien arrangé avec mon père et ça a à nouveau dégradé, tout a pété.”

Ces quelques phrases parmi des centaines pour recontextualiser un projet qui nous tient particulièrement à cœur…

L’A.M.O. Service Droit des Jeunes Namur-Luxembourg fait le constat de l’augmentation de consultations et accompagnements par le Service de jeunes présentant des besoins complexes et multiples avec des parcours en Aide et Protection de la jeunesse et/ou de soins. Si les demandes nous étant adressées ne relèvent jamais seules de la santé mentale, cette dernière complexifie souvent les démarches et leurs aboutissements. L’équipe a une impression d’impuissance face à ces problématiques connues des services sociaux et autorités compétentes.

Le “travail” de la demande qui nous est adressée nous invite à prendre cet aspect en compte dans l’accompagnement que nous tentons de mettre en place. En effet, les jeunes qui fréquentent notre service décrivent régulièrement les décisions d’interventions ou les absences d’intervention comme des violences. La rupture de confiance y est très présente. Pour beaucoup de jeunes, et de familles, la seule évocation du CPMS, d’un Centre de Planning Familial, d’un Service de Santé Mentale, voire d’une consultation chez un psychologue privé, les rebutent. Les jeunes expriment le sentiment d’être “blasés”, que rien ne pourra être fait pour eux. Les structures de prises en charge existantes ne semblent pas répondre à leurs attentes.

Par ailleurs, nous postulions que certains jeunes, en raison de leur représentation de la santé mentale, préfèrent porter l’étiquette de “délinquant” que de “malade” et de s’inscrire dans un parcours de soins. Certains jeunes refusant d’emblée des prises en charge de ce type alors même qu’ils expriment un mal-être, des angoisses, des instabilités d’humeur, des problèmes de consommation, etc. Ces questionnements prenaient tout leur sens à l’heure où, dans le cadre de la réforme de l’aide à la jeunesse, en vertu de l’article 122 alinéa 2, le jeune souffrant d’un trouble de la santé mentale ou d’un handicap, ne peut plus être placé en IPPJ, seule institution jusqu’ici parfois mobilisée par les tribunaux de la jeunesse.

Que cherche-t-on à prévenir?

Des entretiens avaient été pensés en regard de quatre larges catégories de questions portant respectivement sur l’accès, l’usage, les rapports et les effets du dispositif. Nous souhaitons par ce projet éviter que les dispositifs stigmatisent les jeunes usagers, mettre au travail les idées des jeunes et trouver des moyens pour en favoriser l’accès.

“Et donc c’est vrai que parfois […] tout ce que les jeunes attendent c’est qu’on leur dise ‘mais on va faire attention à toi, on va prendre soin de toi, on est là pour toi et on va essayer de faire quelque chose quoi’. Le lien […] le lien aussi ça c’est vraiment quelque chose à travailler entre jeunes et ça aussi ça fait partie de la prévention. Le lien entre eux, le fait que les jeunes entre eux aient des liens constructifs, et pas malsain, et pas vicieux […]” (Extrait de l’interview d’un Pédopsychiatre en centre de santé mentale et en hôpital psychiatrique).

Outre le lien, maintenir, restaurer le lien social et le sentiment d’appartenance à une société bienveillante dont les jeunes font partie, les objectifs suivants ont été poursuivis.

Interpellation du politique et Sensibilisation du tout public sur l’absence de solutions aux divers problèmes vécus par les jeunes.

Valorisation de l’image des jeunes envers eux-mêmes et au niveau du monde ‘adulte’ (en recueillant le témoignage des jeunes sans les enfermer dans l’idée qu’ils sont ‘le problème’ ou ‘la différence’; nous sommes repartis de leurs extraits, tels quels, afin de comprendre mais aussi de créer du collectif et permettre une réappropriation; nous avons osé la scénarisation coconstuite; nous avons validé ensemble le produit fini. D’un bout à l’autre, ce sont les jeunes qui parlent de la santé mentale aux jeunes.

Promotion des droits des jeunes notamment: le droit à la santé, le droit de donner son opinion, le droit à la non-discrimination, le droit à l’éducation.

Renforcement et élargissement des partenariats intersectoriels améliorant directement la prise en charge des jeunes.

Mise en œuvre de stratégies de prévention des assuétudes et de prévention de problème de santé mentale.

Contribution aux enjeux et objectifs de la nouvelle politique en Santé Mentale pour enfants et adolescents.

Quel est le timing de l’action?

Première phase: de 2019 à 2021 – recueil de paroles, analyse des récits de vie et des interviews, rédaction de la recherche action et réalisation des quatre capsules vidéos faites par et pour les jeunes.

Deuxième phase: 2021 – le SDJ Namur-Luxembourg constate que les jeunes pointent une série de conséquences de la pandémie et des confinements répétés; conséquences qui sont globalement peu médiatisées (en tout cas moins que celles qui touchent les adultes et les secteurs économiques) voire sous-estimées. L’action envisagée est la réalisation d’un documentaire vidéo illustrant – au départ de témoignages des jeunes et d’une rédaction participative – l’engrenage des ces différentes difficultés qui d’une part, affecte directement la santé mentale des jeunes, et d’autre part, contribue à rendre les droits des jeunes de plus en plus inaccessibles ou aléatoires.

Troisième Phase: de 2021 à 2023 – constitution d’un groupe de témoins du vécu qui va construire un jeu d’animation permettant au départ des capsules déjà réalisées d’aller à la rencontre de jeunes au sein des écoles, MJ, institutions AJ, hôpitaux pédopsychiatriques, etc. pour permettre de débattre sur des questions de santé mentale.

Quelle transformation sociale est souhaitée?

Pour tenter de comprendre ce phénomène, nous sommes allés à la rencontre de 18 jeunes et de 13 professionnels afin de recueillir leur témoignage. Au total, nous avons réalisé 1607 minutes d’entretien, soit 27h d’entretiens qui ont longuement été analysées afin d’accoucher d’un rapport de recherche construit en trois parties au sein desquelles une grande place est laissée aux extraits de témoignages.

La première partie contextualise le sujet, d’une part en traçant un bref historique du secteur, et d’autre part, en tentant de délimiter le «champs» de la santé mentale; la seconde partie aborde les questions juridiques (quels sont les droits du patient mineur? Quid du passage à la majorité? Quand et pourquoi les services hospitaliers ont-ils recours à la contrainte, à la médication? Quel est le système de prise en charge pour les jeunes dépendant de plusieurs secteurs?); enfin, la troisième et dernière partie du rapport contient une analyse des entretiens des jeunes sous l’approche de la théorie de l’acteur-réseau qui nous est proposée par RTA. Cette grille de lecture considère la société comme un réseau d’acteurs humains et non-humains égaux qui ne peuvent se connecter qu’à l’issue d’un processus de quatre étapes: la problématisation, l’intéressement, l’enrôlement et la mobilisation. Cette approche particulière est mobilisée au départ du principe selon lequel l’acteur du soin est le jeune lui-même et qu’entre le jeune et le professionnel, il n’existe aucune dissymétrie dans la «potentialité du soin». En tant que co-acteurs, ils rendent – l’un et l’autre par leur alliance et leur collaboration – le réseau de soin et de l’aide possible. Cette théorie présente en outre l’avantage de présenter la diversité des «intérêts» des acteurs en présence sans adopter un discours «moralisateur».

En parallèle de cette recherche, les jeunes interviewés ont souhaité participer à la création d’un outil de sensibilisation. De l’analyse croisée des entretiens des jeunes, quatre thématiques récurrentes ont distinctement émergé.

  1. La stigmatisation et le regard des autres
  2. Le sentiment de solitude ; de ne pas être cru/compris – insatisfaction du suivi proposé Versus attentes du jeune
  3. Le secret professionnel
  4. Le manque d’information, de visibilité des services existants et le renvoi de balles

 

Interpeller
La méthodologie permanente et ayant largement fait ses preuves d’associer les jeunes à la construction du projet et de systématiquement repartir de leur parole/vécu/attentes.

Pour la deuxième phase du projet, au-delà d’être un support d’interpellation du politique qui par essence vise à obtenir un changement et en l’occurrence ici des pistes de solutions concrètes en réaffirmant là où sont les besoins et qu’elles sont les réalités, le documentaire sera un support de sensibilisation pour les professionnels: comment et où stopper le cercle vicieux, comment mieux se prémunir à l’avenir de ce genre de dégâts en termes de dispositifs de prévention, comment davantage faire participer les jeunes dans la gestion et l’organisation de ce qui fait société? En donnant la parole aux jeunes, en leur donnant une place non stigmatisée, nous «forçons» leur environnement à les intégrer, les inclure, à penser avec et non pour eux. À l’heure où notre société semble valoriser «l’action», il ne suffit pas/plus de dire que les jeunes vont mal et souffrent de santé mentale, il s’agit de faire exister des solutions au stade de la prévention.

Montrer au «tout public» que le sécuritaire n’est définitivement pas la société que nous voulons. Que la peur et la prohibition ne sont ni opérantes ni souhaitées par les jeunes.

Quels sont les acteurs mobilisés et quelles relations seront construites entre eux? Quels sont les apports et retours espérés pour chacun d’eux?

Les jeunes, prioritairement.

L’équipe, définitivement.

Les multiples partenaires intersectoriels qui se sont engagés à nos côtés (deux réseaux santé, un service de formation, des services privés et publics de l’aide et de la protection de la jeunesse – SRG, SRS, PEP, IPPJ, AMO, des services pédopsychiatriques, des acteurs scolaires, des acteurs du monde de la santé et notamment des assuétudes).

Le tout public et le politique que nous espérons sensibiliser.

Les bénéficiaires du projet (les jeunes) et les destinataires de l’outil de prévention (le politique, le “monde adulte”, et les jeunes au sens large) sont à distinguer.

  • Les premiers bénéficiaires sont les jeunes. D’une part, nous réaffirmons qu’au-delà du recueil de la parole des jeunes à travers les témoignages, interroger et permettre aux jeunes de questionner leurs (accès) aux droits contribue déjà à un sentiment d’exister, de participer, de compter, … à une “bonne” santé mentale. En effet, lors du premier projet, la volonté de contribuer à un message positif sans être utopiste, stigmatisant, culpabilisant, démotivant; en étant porteur de sens et d’espoir pour les autres à plusieurs fois été exprimé. D’autre part, intégrer un groupe de jeunes empathiques, bienveillants, respectueux du parcours singulier de chacun semble avoir été porteur/mobilisateur pour plusieurs. D’autant plus en cette période de pandémie. Le fait de ne pas se sentir seul, de reconnaitre en l’autre des difficultés rencontrées, parfois déjà traversées, surmontées, a été essentiel. En cette période, les jeunes ont exprimé leur volonté d’encore “plus” participer, de ne pas “lâcher”; ils ont exprimés leur sentiment de trouver une raison de se lever pour des jeunes parfois sans projets d’insertion, sans vie sociale active, souvent déscolarisés.
  • Les jeunes devraient toujours – en principe – être les derniers bénéficiaires de l’action puisque au final, l’action d’interpellation du politique et de sensibilisation du “tout public” poursuit un objectif de changement social, de réaction, de mises en place d’actions et de solutions concrètes à destination des jeunes eux-mêmes.

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