Christine Ramelot,
Inspectrice générale Service public de Wallonie Action sociale

Entretien 14

Madame Ramelot est inspectrice générale au Service Public de Wallonie.

Madame Ramelot est responsable du département l’Action sociale, terme qui recouvre trois départements différents: l’action sociale qui s’occupe de la grande pauvreté (gestion des articles 60, aide alimentaire, maisons d’accueil, relais sociaux, abris de jour et de nuit, insertion sociale…); la cohésion sociale (PCS, plan Habitat permanent, droits des enfants, gens du voyage); l’intégration des personnes étrangères et l’égalité des chances (parcours d’intégration, CRI, ILI et égalité H/F, LGBT). A l’intérieur de son service, 6 personnes ont des missions transversales, en vue de créer des liens entre les actions et les dispositifs.

La prévention est très (trop) peu présente dans ces départements; on la trouve par exemple dans des actions locales notamment les plans de cohésion sociale, la lutte contre le surendettement, ou les services d’insertion sociale.
L’analyse de Madame Ramelot consiste à dire qu’une approche préventive nécessiterait une approche globale des personnes et non un morcellement de celles-ci selon les compétences des services, ce qui se passe malheureusement trop souvent.

Madame Ramelot travaille en conséquence au décloisonnement, mais force est de constater que cette visée n’est pas simple à rencontrer: le découpage des compétences ministérielles, des compétences administratives, mais aussi les craintes des opérateurs (logique de «chasse gardée» par rapport au public, crainte de perte des subventions) sont des obstacles bien réels.

Madame Ramelot constate aussi que le décloisonnement se cherche souvent dans des logiques de plateformes, réseaux divers et variés, ce qui fait exploser le temps de réunions, avec des résultats souvent insatisfaisants. Pour elle, le décloisonnement ne devrait pas être «un truc en plus», dévorateur d’un temps déjà manquant, pour des opérateurs et des administrations qui sont «le nez sur le guidon». On manque furieusement d’éléments de synthèse à partir des actions des uns et des autres. Il faut aussi sortir de la dimension seulement locale et pouvoir ne pas s’appuyer que sur des relations interpersonnelles.

Par rapport à la question d’une alliance ou d’un partenariat non conjoncturel en matière de prévention sociale, Madame Ramelot indique sa priorité: la prévention du sans-abrisme (en particulier pour les 18-25 ans). Cette priorité est présente dans le plan wallon de sortie de la pauvreté et dans le plan de relance wallon. L’enjeu est de sortir du curatif seul pour développer une politique de prévention qu’elle définit d’une manière fort proche des orientations du Livre 1.

Elle est chargée de créer un «Observatoire du sans-abrisme» qui développera une approche «bottom-up» et créerait des liens avec l’AAJ, les maisons de justice, l’éducation permanente et la culture.
L’approche s’intéresserait notamment à la sortie des institutions (par exemple des jeunes «mis en autonomie») pour éviter que cette sortie ne soit l’expérience d’une désaffiliation. Elle étudierait aussi de façon intersectorielle les risques de basculement (où, quand, pourquoi?) pour tenter de les éviter.
La logique prônée s’écarte des vastes «plans d’action» pour partir des expériences pratiques, des expérimentations de terrain pour espérer les modéliser et les multiplier.

Madame Ramelot expose aussi son analyse des obstacles à la collaboration intersectorielle.

Le premier consiste, dans le chef des opérateurs, en une logique de «capture défensive du public» (par exemple par crainte de perte d’un agrément).

Cette logique peut être renforcée par la logique normative qui est adoptée par les pouvoirs publics, par exemple si les normes sont exclusivement quantitatives.
Madame Ramelot souhaiterait pouvoir travailler sur la notion d’«agrément intégré et articulé» qui devrait permettre le maximum de souplesse aux opérateurs polysubventionnés, au bénéfice des publics.
C’est en effet la condition de possibilité d’une approche globale qui part des personnes elles-mêmes; une expérience probante a été initiée pendant les inondations à propos du soutien psycho-social à organiser.
L’agrément intégré permettrait aussi une simplification administrative énorme (pour le service; pour l’administration), ce qui permettrait de retrouver des ressources pour le conseil aux opérateurs (par rapport aux projets européens par exemple). L’idée serait de le tenter d’abord entre les départements gérés par Madame Ramelot, puis de l’étendre. Mais, à ce stade, cette réflexion ne peut se mener, faute de ressources humaines tout d’abord, mais elle nécessiterait surtout de coïncider à une volonté politique.

Une troisième catégorie d’obstacles concerne la tentation de l’hégémonie (entre secteurs; entre services publics et associatif). La charte associative, qui énonce le devoir de complémentarité entre services publics et actions associatives est malheureusement quelque peu tombée aux oubliettes.
Des «pilotages tournants» pourraient peut-être prévenir cette tentation.
En tout état de cause, le pilotage des partenariats doit pouvoir éviter les positions de «juge et partie», ce qui est souvent le cas au niveau local.
C’est la raison pour laquelle Madame Ramelot insiste sur l’importance du niveau régional, qui peut allier indépendance et vision stratégique. L’institution de chargés de prévention va d’ailleurs dans ce sens.

En conclusion, Madame Ramelot se dit preneuse d’un chantier au niveau des assises de la prévention autour de la question de l’autonomie, du logement, de la prévention du sans-abrisme. Pour elle, il faudrait partir des expériences existantes et tester une modélisation. En ce sens, les diagnostics sociaux devraient pouvoir intégrer un diagnostic des actions possibles en matière d’intersectorialité.​